Le thème donné pour BLIT’z le bal par le
festival des Quinze cents coups :
« SONGE D’UNE VILLE EN ETE ».
Le bal a eu lieu le 26
Juin 2013 dans le square Necker à paris 15ème et est constitué de 6
tableaux.
DEUX PERSONNAGES :
- Hermia (personnage féminin) ;
- Démétrius (personnage Masculin)
Plus 1 narrateur, 1 voix
« pub », 1 voix « Paris ».
CAUCUS : Paris désertée par ses habitants pendant l’été est
l’occasion d’une rencontre entre Hermia, danseuse, éternelle amoureuse et Démétrius,
fonctionnaire psychorigide qui voit ses habitudes et sa ville s’effondrer devant
le songe de l’été.
SCENE 1
Voix FIP : Il est bientôt le soir SUR
FLIP et avant de vous promettre une très belle nuit sur nos ondes, les toutes
dernières, terribles nouvelles, mais néanmoins informations…
Comme
chaque année le top départ est donné pour les vacanciers en manque de vitamine
D. Pour ce premier grand chassé croisé des vacances estivales, Bison futé vous
recommande de ne pas prendre la route ce week-end. A moins que vous n’appréciez
lécher le pare-choc de millions d’autres automobilistes, jouer à touche-touche
ou plus prosaïquement, vous retrouver cul à cul avec votre voisin
d’arrondissement, le bison vous prie de rester futé et de stagner sagement aux
abords du périphérique que nous prévoyons totalement vide après 17 heures. Pour
les autres, bison réfuté recommande de n’abusez qu’avec modération des odeurs de gas-oil et de
transpiration qui ne manqueront pas de vous taquiner les narines aux abords des
péages d’autoroute… Les 1700 km de bouchons qui s’étalent sur l’ensemble du
pays et particulièrement aux abords des cités balnéaires, réjouiront les amateurs
de stationnement autoroutier. Pour ceux qui apprécient la déshydratation, se
passionnent pour le concert des enfants qui piaillent, de la belle mère qui
râle, et du chien qui pète quand la clim est en panne, c’est l’occasion idéale
d’en profiter... Bison futé et la compagnie des autoroutes désormais rentables
puisque revendue une bouchée de pain, vous rappellent qu’il n’est pas autorisé
de se débarrasser de son chien, de son chat, poisson rouge ou tout autres bêtes
à poils sur les airs d’autoroutes ! Tout objet abandonné sera
immédiatement détruit par nos services de sécurité.
Tout
de suite un clin d’œil à notre sponsor :
Voix PUB : « FROLIC,
FROLIC, le « manger » préféré de tous les whoua whoua » !
PARIS : Je me vide, je me vide, je
me vide… Tous les ans c’est la même chose. Mes artères se débouchent, je
respire à pleines places de parking, ma circulation ralentit, mon stress disparaît, quelques gouttes de
pluies jonchent mes pavés et viennent me
rafraichir de ma fièvre habituelle.
Narrateur : Le soleil tarde à se
coucher, les rares voitures qui errent encore sur le périphérique ne peuvent en
rien contrarier la plénitude la belle capitale en cette douce nuit d’été.
PARIS : Je commence à m’apaiser, presque
à m’assoupir… Ah le bruit du silence ! Que c’est bon, que c’est… Que
c’est… chiant ! Qu’est ce qui m’arrive?... Une ville fantôme, c’est ça que
je deviens… Plus de bruit ? C’est lourd ce silence !… C’est la mort
en fait… Bien sûr comme chaque année, je vais lancer quelques travaux
d’envergures, défoncer quelques rues, me refaire la façade, sens unique,
peindre, coller, décoller, reconstruire, station vélib, autolib, et puis,
hein ! Et après ! Je fais quoi moi ? Et eux ! Eux ! Ils font quoi en ce
moment ? Ils s’amusent ?… Où sont ils tous partis ? A la mer… A
la montagne… Dans une autre ville !!! En avion, en voiture, en train ! Regarde
la gare, elle est complètement vide ! Regarde cette terrasse, elle est
nue, plus un banc, plus une chaise, plus une table ! Regarde… Plus une
fenêtre éclairée, pas un rideau qui flotte, pas une fiesta, ni le moindre
bruit, et le chant du pigeon ! Ils ne savent même plus roucouler ces
abrutis ! Et l’élégance de cette démarche si parisienne, ce petit
claquement de talon qui rythme la rue ! Il est où, il s’est barré lui
aussi ! Seule Hermia est restée, toujours les pieds nues à danser dans mes
rues…
Hermia : Si je savais vers quoi je voulais aller, peut être
trouverais-je le chemin…
PARIS : T’as qu’as partir en vacances, sentir l’iode ou la
gentiane… Vas y toi aussi, laisse moi ! Hermia !... Non !
Hermia ! Je déconne ! Ne me laisse pas !... Tu ne vas pas
m’abandonner toi aussi !
Narrateur : Une heure du matin… C’est
cette heure tardive que choisie Hermia pour quitter son 12 m2 du Boulevard
Vaugirard. Hermia, parisienne infinie, parisienne de la pointe des pieds à ses
cheveux bouclées vagabondait dans les artères de la capitale. Philosophant sur
sa condition de jeune artiste insomniaque, d’idéaliste mal payée, elle déambule
tout en cherchant sa voie dans les méandres rassurant d’une ville qu’elle aime
tant.
Hermia : Trop écartée de ma voie, la clarté s’est estompée.
Mes pas
chancellent, les rues sont humides, victimes d’un élégant orage. La chaussée
n'est plus qu'un reflet sans densité, mes pieds nus y laissent une trace que
l'eau n'ose recouvrir. La rue s'éloigne vers l'infini, traçant une ligne
ascendante. Quelques courbes luisantes se dessinent, cheminent vers la
pénombre. Seules et sans fin ces volutes incurvées d'une douceur sans accroc
glisse vers un nuage cotonneux. Mes organes tressaillent, résonnent au fond de
moi, le rythme croissant des pulsations propulse mon sang, rouge d'un vif
écarlate, gorgé d'un oxygène que mes muscles redécouvrent.
Je m'arrête un instant, ivre... Ivre de quoi ? De
Paris…
PARIS : Tu fais quoi Hermia ?
Ne me laisse pas, hein ! Et demain matin, je n’entendrais que le
bruissement de la seine, pas le moindre klaxon, la plupart des rideaux de fer
resteront clos… Et eux, pendant ce temps là ? Ils penseront à moi vous
croyez ? Ils mettront leur maillot de bain, chausserons leur tong,
gonfleront les bouées et HOP ! A la plage ! Le soleil, le sable et le
bruit des enfants qui hurlent de joie ! Et moi ! Et moi ! Et
moi ! Vous y pensez à moi ! Vers public.
Ils pensent à moi vous croyez ?... Vous croyez qu’ils m’aiment ?
Impossible
de me détacher de ce sentiment, idiot sans doute, humain surement, d’ennui et
d’abandon. Et tout s’éteint… Noir…
Je
vous manque hein ? Je vous manque déjà ! NOIR… Je ne vous vois plus,
je ne vous entends plus, je ne parle qu’à moi même…
C’est
plus noir que noir maintenant … Et mes yeux se ferment…
Je voudrais dormir et ne me réveiller qu’en septembre !…
Je voudrais dormir et ne me réveiller qu’en septembre !…
Comment
peut-on se détacher de Moi ? Vous m’aimez hein, dites le que je vous
manque !
Criez
le !
Hurlez
le que vous êtes amoureux de Paname !
Chanson :
« Amoureux de Paname »
SCENE 2
Hermia : Tournant
le regard vers l'arrière ne reconnaissant pas le chemin parcouru. En quelques
mètres s'effacent des années, gravées dans la pierre égrainée d’une
lithographie, dans ces immeubles que je connais si bien, dans ces rues vides
maintenant. Ma jambe s’élève, mon pied droit se pose sur la route éclairée. En
dominant la Seine, l’ivresse cède au vertige, le regard vers l’avenir,
seulement distraite par les lueurs et le scintillement de l’eau. Les reflets de
réverbères et l’ombre des nuages masquent la lune. Un silence de mort
s’installe… Un blanc cru, puis un gris, puis de l’or et de l’argent. Le granit
incrusté de diamant lisse l’ensemble des pavés, trace massive, interminable et
imperturbable, sereine comme la voie d’un destin. La jambe gauche flotte en
l’air, n’ayant plus d’appui sur le passé, elle s’éloigne du sol meuble, le
nuage de la chaussée n’applique aucune résistance, tout danse, se mue en
mouvement d’une grande légèreté. Je me vide comme Paris au mois d’août…
Narrateur : Paris était
fatiguée : quelques respirations avaient suffi à la faire sombrer dans un
sommeil profond… Comme ses quelques travailleurs ou chômeur en fin de droit
d’habitants qui n’avaient pu partir, elle rêvait.
Paris : AhAHHHHHH, alors ça fait
quoi de rouler en seconde en Porsche ! Ah, ah, bien fait !
T’arriveras en même temps que tout le monde !
Narrateur : La glacière à l’arrière
branchée sur l’allume cigare, la valise pleine à craquer calée minutieusement
entre la bouée requin et le parasol pastis 51, une planche de surf Winnie
l’ourson sur la galerie, le sandwich jambon-beurre-cornichons dans la boite à
gant, rien ne pouvait distinguer la Clio 1,3 L Diesel privilège de PARIS, des
autres véhicules qui se bousculaient à 4,5 km/h sur l’autoroute A 10.
Condamnée
à rester en seconde depuis le péage de Saint-Arnoult, elle se surprend à poser
son regard sur ses compagnons d’infortune, qui comme elle, subissent sans
broncher les embouteillages estivaux.
Paris : Oh, mais y a vraiment des
gens qui doutent de rien ! Un si petit doigt pour un si long canal
nasal !
Narrateur : Et oui, Paris était
aigrie, Paris n’en pouvait plus, Paris avait une langue de pute.
Voix FIP : La station de
Chevilly-en-Bière nous informe que Marcelle, 82 ans vêtue d’un seul manteau en
tweed mauve, munie d’une valise marron et d’un sac de couchage est attendue par ses enfants entre les
urinoirs hommes et les balançoires de cette très belle aire de repos. Nous
rappelons à nos aimables usagers que tout objet abandonné sera immédiatement
détruit par nos services de sécurité.
Voix PUB/FIP : FLIP des idées qu’on nous
reproche…
Et tout de suite sur FLIP…
Un peu de musique pour adoucir vos mœurs… Sélection FLIP du mois de JUILLET,
le…
Paris : Oh, mais qui c’est dans
mon rétro ! Oh my god, mais c’est Démétrius, sur son balcon, 43 rue de Lepic,
3ème étage, porte gauche. Il est pas couché à cette heure là ! Ben ça
va lui faire drôle demain ! Hein Démétrius ! Oh Démét ! Il est
sourd ou quoi !
Narrateur : Il est temps pour
Démétrius de gagner son lit, un dernier coup d’œil dehors, histoire de voir que
tout est en place…
Démetrius : Tiens le Balto est encore
ouvert…
Narrateur : Se dit il en plaçant
méticuleusement ces boules Quiès. Démétrius habite au 3ème étage
d’un petit immeuble cossu du 18 ème arrondissement. Fonctionnaire de son état
et de père en fils depuis que la fonction publique existe, passionné de cheval
et particulièrement du PMU, n’hésite pas à ce décrire comme un maniaque du
célibat, un maniaque de la précision, et pour finir… Maniaque tout court !
Rideau tirée, porte verrouillée, poubelle vidée et chaussons au pied du lit… Pendant
que Démétrius plonge tout droit dans les bras de Morphée, Paris n’a de cesse de
surveiller son rétro, inquiète de savoir si tout suivait et veillant à ne rien
perdre en route. Le bel immeuble Haussmannien de 8 étages à sa droite traine le
boulevard poissonnière qui lui même entraîne la gare st Lazare. A sa gauche, le
pont Mirabeau collait au cul des invalides et sa lenteur légendaire, la tour
Eiffel déplace péniblement ses piles de pierre de taille et le square Georges
Brassens semble glisser sur le bitume. Tout se passait à merveille quand
brutalement un Vélib ailés, c’est à dire un vélo libre service parisien avec
des ailes, à seulement 3€ l’heure en semaine et 2€ le week-end, sauf jours
fériés et 3ème jeudi du mois, enfin ca dépend…
Voix PUB : J-C
Déco ! Le mobilier urbain, la nature à portée de rien ! J-C Déc
LOUE ! Des idées qui vous sont chères !
Narrateur :… Je disais donc, que le
Vélib ailé heurte avec fracas le pare-brise de l’automobile de notre chère
Paris. Cette dernière pousse alors un cri strident, très féminin pour la
circonstance et parfaitement humain pour l’occasion et vient tout aussi
brutalement presser de son pied droit, la pédale centrale du dispositif de
contrôle de la vélocité du susnommé véhicule. Il semblerait que ce soit les
freins… Fracas, nuage de fumée, éboulements et tutti chianti… Paris fustigée,
Paris explosée, Paris fatiguée, Paris martyrisée … Mais Paris à la plage ! Paris à la mer !
Chanson : « La mer »
SCENE 3
Narrateur : Il est 13 heure passé de
quelques minutes quand le soleil inonde les fenêtres du 43 de la rue Lepic,
juste en face du Balto, pour ceux qui connaissent… C’est l’heure pour Démétrius
de démarrer sa journée et de permettre à sa peau blanche de happer quelques
rares rayons bienfaiteurs. Il commence à 14 h et c’est toujours par ce même
rituel qu’il débute sa journée.
Démétrius : La sonnerie stridente me
tira de ma léthargie et d’une chute improbable. Non pas vertigineuse, mais
plutôt du genre, irrévérencieuse, eu égard à la jeune personne qui avait élu
domicile dans mes limbes. Bref…
Mon
réveil toujours réglé à la même heure indique 13H13 minutes, le temps pour moi
d’entrée en période d’activité. Pas de superstition, ni de chiffre magique,
idéal ou porte bonheur, 13H13 c’est exactement l’heure de ma naissance,
première période d’activité, déploiement des poumons, contact avec la lumière,
sensation de froid, douleur articulaire, je déglutis, vomis et hurle.
Ma
gorge brûle, mes pupilles ne s’adaptent pas assez vite, je cligne des yeux, je
relève le drap, je m’étire. La bouche pâteuse, j’avale un semblant de salive au
goût amer et vocifère un guttural bourdonnement à peine posé le pied sur le sol
immaculé et m’introduis dans mes chaussons parfaitement placés au pied de mon
lit qui n’en ai pas moins...
Narrateur : Ouais bon ça va on a
compris ! Donc… Démétrius enfile à l’aveugle ses chaussons pour éviter le
contact glacial et violent du carrelage matinal. Douché, rasé, habillé,
petit-dejeunisé, il attrape d’un geste précis et rapide sa sacoche, son couteau
…et… sa clef... Ses pas quasi-automatisés le guident vers ce rectangle de bois
qu’on appelle porte. Plein d’assurance et de détermination, il exerce sur la
poignée un geste rotatif visant à provoquer l’ouverture de la porte susnommée.
C’est à ce moment que Démétrius se trouve dans une situation inédite, voir
désespérée, en tout cas inhabituelle et que son rituel est fortement mis à
mal ! Lui qui, comme tous les jours, s’apprêtait à boire son café-crème au
BALTO tout en parcourant son quotidien préféré « Git-cul », se
retrouve avec du sable fin plein les chaussettes, agressé par un ballon et les
effluves rances de crème solaire !
Doucement
les enfants avec le ballon !
AMBIANCE PLAGE
Faites
attention où vous mettez, les pieds, c’est ma serviette, merde !
Il
écarte les pupilles mais encore plus les orteils et lance :
Démétrius : Mais
qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Une plage à Paris ? Ca ne
marchera jamais !
Voix PUB :
Aujourd’hui Promotion exceptionnelle ! Le thon à la plage façon tournedos
est à seulement 1 Euros ! Et après on dira que la vie est cher ! FRANCRISE !
Vos plages préférées ! FRANCRISE !
Narrateur : Hermia, elle, n’était
absolument pas surprise, ni même désarçonnée par ce spectacle grandiose quand,
en sortant sur son palier, elle aperçue des vagues de 15 mètres (excusez-moi,
j’ai tendance à exagérer), des vagues de 1m, s’écraser violement contre
une falaise qui venait étrangement prolonger son paillasson. Elle l’avait
toujours su. Oui, au fond d’elle, elle le savait. C’est à dire qu’elle était au
courant. Enfin, elle avait compris quoi… Mais…euh…qu’est ce que je
disais ?...Ah Oui ! Sous les pavés la plage ? Mais oui !
Bien sûr !
Hermia
avance lentement jusqu’au bord du précipice. Elle écarquille les yeux pour
préciser une forme qui semblait l’observer fixement. Démétrius, leva la main et
lui fît lentement un geste précis et ample, comme pour dire… Coucou. Répondant
de même, elle savoure ce paysage magistral tandis que le mistral caresse
fraîchement son doux visage, Face à la mer !
Chanson :
« Face à la mer »
SCENE 4
Narrateur : Mais cette transformation
balnéaire ne faisait que décaler le sentiment d’abandon. L’hiver, elle serait
tout autant délaissée… Comme chacun le sait, en hiver à Menton, il n’y à guère
que des citrons. Paris ne pouvait se satisfaire d’un idéal bancal. Elle
abandonna donc l’idée de la mer et laissa son songe dériver… Et pourquoi pas ? Rien
est interdit dans un songe, d’ailleurs, qui dirige les rêves ? Hein, c’est
moi ou moi !!!! Je fais ce que je veux !!! C’est moi qui
narre !!! Paris s’orienta donc vers une autre piste et telle une pieuvre…
PARIS : Parfois j’aimerai être New York ou Mexico. C’est vrai,
voilà deux amies que je n’ai jamais entendu se plaindre d’un quelconque ralentissement
d’activité. Elles ne dorment jamais, et quelque soit la saison, pas d’abandon à
l’horizon. Grossir, comme elle, grossir ! C’est ça la solution ? Oui
tout avaler !!! Paaaaarrrrtout est PAAAAAAARIS
VOIX PUB : Votre maillot de bain Louis Chadior, made in BANGLADESH
c’est distendu… Pas de panique avec Elargyl, des laboratoires PIP et
Servier ! Plongez en toute sérénité !
PARIS : M’étendre, m’étaler pour que où qu’ils aillent, ils soient
avec moi, qu’ils ne me quittent plus. Je
vais grandir et ils grandiront avec moi. J’irais ou vous irez… Et je songe avec
vous…Alors, mon squelette s’étire, les couloirs des catacombes se creusent, s’élargissent, tout se déconstruit, se transforme, s’étire.
Mes égouts deviennent de vastes grottes. Une énergie immense gonfle mes artères
et décuple mes capacités. Comme de la lave, le macadam crisse, explose, se
déchire et se déploie entre les immeubles. Certains bâtiments se multiplient,
d’autres s’élargissent, les rues n’en finissent plus de grandir, la moindre
impasse devient aussi grande que plusieurs autoroutes, les boulevards
s’enorgueillissent d’être aussi large que les plus grands fleuves, les places des
déserts, la seine un océan et ma tour Eiffel ! Ma tour Eiffel… Plus large
que haute, plus haute que large, pour enfin côtoyer, les plus hautes cimes des
alpes… Affleurant le mont Blanc… Les ponts s’offrent de nouveaux pieds… Les
quais se jouent de la seine et tentent de la suivre… Les Champs Elysées
traversent la France, les squares deviennent forêt ! Parcs deviennent
vallées. Montmartre insolent, et la butte aux cailles toise le pic du
midi ! Rien ne résiste à mon expansion, j’absorbe tout, chaque habitant,
chaque arbre, chaque prairie, les oiseaux deviennent pigeons, les vélos,
vélibs, les places de parkings, rares et payantes, les serveurs désagréables,
les pervenches collent des prunes et les prunes deviennent pavés. Tout est
Paris… Ici et partout c’est moi !
IciiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiC’EST
Paaaaaaaaaaaaaaris
Narrateur : 13h13… Démétrius se lève,
comme la veille et comme les autres jours. Son rituel bien rôdé… Toujours
précis… Pied, chausson, vomis, hurlement, salle de bain… Git-Cul, Balto et
café….
Démétrius : J’actionne l’anse du
mélangeur, la température de l’eau est réglée au degré près et de manière
invariable, je ne supporte pas les écarts de température. Un vague goût de sel
sur les lèvres… Je me rince soigneusement, attrape une serviette de bain et
m’essuie consciencieusement. Je profite du fait d’être immaculé pour placer mes
lentilles de contact. Le flou laisse place au net, je recule d’un pas, tourne
la tête face au miroir et j’essaie… Mais sans y être invité mon visage se fige,
comme chaque matin.
Peu
importe les dents, peu importe les rides et quand bien même, il serait
carnassier, la babille découvrant l’incisive. Mélancolique ou moqueur, animé ou
statique, j’aimerais bien en avoir un. Même dans le miroir de la salle de bain,
mon pire ami ne me le rend pas. Alors que je viens de me raser, coiffer,
barbouiller de crème, de celle qui détend la peau et masque les imperfections,
même dans ces moments d’intimité les plus totales, je n’y arrive pas. Je
sollicite le muscle qui sensé remonté ma lèvre, me permettrais enfin d’arborer
un sourire. Le droit, le gauche un par un, les deux, je force, contracte,
détend, sans plus de résultat. Pas plus
surpris que cela mais plus désappointé que la veille. J’ai 42 ans depuis 17 minutes et autant que je m’en
souvienne, je n’ai jamais souri.
Narrateur : Direction le buraliste du
coin, Git-Cul, Balto, café.... Aujourd’hui il tenterait aussi le Monde mais
seulement pour se donner bonne conscience. Ces deux ouvrages se complétaient
presque systématiquement par un exemplaire du dernier Géo. C’était le maigre
moyen de consoler ses envies de voyages non assouvies. Une consommation
visuelle qui lui permettait de s’évader rapidement sans jamais sortir de sa
zone de confort… Idée qui soit dit en passant, le répugnait au plus haut point.
Pour vous donner une idée, Démétrius avait horreur de franchir le périphérique
et faisait de l’exéma chaque fois que son travail l’obligeait à franchir la
zone 1 de sa carte Navigo.
Ce
jour-là, il avait pris sa douche en 7 minutes, séchage compris, accompagné de
sa chanson estivale préférée, « Your song » de Billy Paul. Il avait
enfilé les vêtements de la veille excepté bien sur le caleçon et les
chaussettes. Tout était parfait. Un dernier point sur sa check-list mentale,
clé, portefeuille, cigarettes, sa sacoche, son couteau, et… Et… Sa clef !
Tout y était, Démétrius s’élança alors d’un pas léger en continuant de se
prendre pour Billy Paul. Instinctivement il traverse la rue Lepic sans même se
soucier des voitures, on est au mois d’août après tout et c’est
Machinalement comme chaque matin, qu’il se dirige vers le Balto, encore dans ces
pensées, de peau salé… Il relève la tête au bout de 5 minutes…
Démétrius :
Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel !
Narrateur : Démétrius constate qu’il
ne se trouve qu’au milieu de la rue, et le Balto est encore au moins à 500
mètres !
Il
court, affolé, cherchant quelqu’un à qui
parler, à qui expulser sa détresse. Personnes ! Il scrute la rue et….
Démétrius : Qu’est-ce qui c’est passée
avec ma rue ? Putain ! Oh oh mes chieurs de voisins ? Oh oh mon
boucher incontinent !? Mon
buraliste ? Mon café ?..... Oh bah si c’est le Balto, mais qu’est
qu’il fout là-bas? C’est quoi ce délire ?? Si c’est le Balto, ce doit être
ma rue. Elle a triplée de volume en une
nuit ? C’est… Qu’est ce qui…Et la vache il est… il est loin, y’a au moins
deux bornes !
Narrateur : Soudain, entendant des
bruits de talons, Démétrius se retourne, il a peine le temps d’ouvrir la bouche
qu’il est percuté par une jeune femme visiblement très pressée. Elle se tourne
vers lui et le visage déformé par la vitesse, lui lance quelques mots qu’il a
peine à comprendre : EXXXXXXCUUUUUSEEEEEEEEZZZZZZZ
MOIIIIIIIIIIIIIII !
Au
loin, un bruit s’élève, comme le bruit un bourdonnement, ou plus précisément de
l’eau qui bouillonne… Elle sort de son lit, comme ensorcelée… La Seine
Chanson :
« La Seine »
SCENE 5
Hermia : Je flotte… Dans les nuages, j’ai pris plus de hauteur que
jamais, au moins 3000 mètres d’altitudes. L’oxygène se raréfie, et c’est mon
corps en entier qui se laisse envahir,
jusqu’à la pointe des cheveux qui se dresse maintenant, attirés par l’espace,
sans gravité je flotte. La couche est dense, imperméable, c’est elle qui me
guide, sur le palier. Reprenant le contrôle, je ris tout en descendant des
escaliers qui n’en finissent pas. Mes talons résonnent en des échos, qui se
mélangent avec les précédents, un rythme sans cesse plus riche me guide vers le
bas mais sans jamais atteindre le rez-de-chaussée !!! 200 étages plus bas mes
oreilles se bouchent sans doute sous l’effet de la dépression, et je ris, je
ris en dévalant la pente ! Effleurant la rampe, toujours plus vite,
toujours plus basse, toujours plus… Je connais la route et la trace, laissant
derrière moi un ruban de lumière et une cacophonie sans nom ! La descente s’achève
et j’ai un tel élan que je sors de l’immeuble en trombe et bouscule un homme en
plein milieu de la rue. J’ai à peine le temps de lancer EXXXXXXCUUUUUSEEEEEEEEZZZZZZZ
MOIIIIIIIIIIIIIII ! Que je suis précipité dans un café,
que je ne connais pas et très, très loin de chez moi… Où je suis ?
Narrateur : Au Balto… ma p’tite dame ! Rue
Lepic ! Qu’est ce que j’ui met ? … Lui lance le barman assez
poliment…
Hermia : Les toilettes s’il vous plait, je crois que j’ai besoin
de...
Narrateur : Ahhhhh ça va pas être possib, le lieu d’aisance c’est
que pour les consommateurs ma p’tite dame ! Par contre j’peux vous mettre
un p’tit r’montant ! Si elle voit c’que j’veux dire ! Hein
Raymond ! Un p’tit remontant, rigola le barman… Quand à Raymond, il se
contenta de hocher la tête… d’opiner du chef, enfin de ce qu’il en restait…
Démétrius : C’est quoi encore ce bordel !
Narrateur : Démétrius sent le sol se
dérober sous ses pieds, une faille géante, se creuse, son pied gauche se dérobe
et peu habitué au grand écart, il bascule à la renverse ! Sa main droite
accroche le bitume quand un bruit sourd résonne !
D’Est
en Ouest. Comme un craquement souterrain, qui ne sauraient remonter à la surface.
Sans oser soupçonner les dangers et les conséquences dues à cette expansion
trop rapide et pour le moins désordonnée, Paris considère son immensité et le
chaos qu’il engendre.
PARIS : J’ai peut être un peu exagéré…
Une
faille se dessine au Sud-Est, la tour Eiffel vacille et ondule comme une
danseuse désossée, prête tomber, elle titube et s’écroule, les pieds au sud et
la tête au nord. Le Sud- ouest ne s’en sort pas mieux, la butte aux cailles se
creuse et crache en salve grondante des morceaux de Pyrénées. Tout s’effondre,
se tort et se déforme… La seine dans un tourbillon infernale semble aspirée par
l’Australie. Rien ne résiste, le Chaos s’empare de PARIS, les bâtiments
s’effondrent comme aspiré par la terre, Hermia sort en criant du Balto :
Hermia :
Garde les tes chiottes ducon ! Quel connard ce serveur ! Et tu paie
rien pour…
Mais
devant ce paysage d’apocalypse, elle reste bouche B… Tout s’assombrit, devient
noir, seuls quelques éclairs et étincelles de câbles arrachés parviennent à
produire une lueur. Soudain elle entend le hurlement terrifiant d’un homme au bord de l’abime et si
proche de la mort ! N’écoutant que son courage et portée par on ne sait
quel instinct elle se fraie un passage au travers du chaos, pourfendant et
balayant de son suave parfum l’épaisse et dense poussière que le vent nous portera.
Chanson :
« Le vent nous portera »
SCENE 6
Narrateur : Démétrius se retrouve dans
une situation pour le moins inconfortable, on ne peut pas, à proprement parler
dire que ce soit un grand sportif. Hermia vole littéralement à son secours, lui
tente désespérément de comprendre ce qui lui arrive. Elle lui agrippe la main,
se penche au dessus de la faille. Les mèches de ses cheveux bouclés ondulent au
quatre vents, fouettant le visage de Démétrius. Elle arbora alors un sourire
tout droit sortie du paradis. Démétrius sentit ses zygomatiques tremblés, puis
se contracter, les commissures de ses lèvres remontèrent comme un seul homme,
si haut qu’elle frôlaient maintenant le coin de ses yeux !
Hermia : Accrochez vous à mon bras,
je vais vous remonter !
Je m’appelle Hermia ! Et vous ?
Je m’appelle Hermia ! Et vous ?
Narrateur : Démétrius le sourire
scotché au visage ne pouvait répondre… Il balbutia son nom, un son quasi inaudible
sorti de sa gorge.
Démétrius : Démétrius…
Hermia : Enchanté Hérmétricus, c’est
drôle comme prénom !
C’est
russe ?...
Démétrius : Non, c’est…
Hermia : J’habite pas à côté, mais
ça me fais plaisir de vous rencontrer.
Démétrius : Oui moi aussi, mais est
ce que vous pourriez me sortir de là…
Hermia : C’était pas vous
hier en haut de la falaise ? Hein, c’était vous ?
Démétrius : Oui, oui… C’était
moi ! Vous… Pourriez me…
Hermia : C’était haut hein…
AH ! C’est pas vous qui m’avez fait COUCOU !
Démétrius : Oui moi ! A
moiiiiii ! COUCOU !
Hermia : Bah on ne se quitte plus
on dirait ! On pourrait peut être prendre un verre. Qu’en dis tu ? Ca
ne te dérange pas si je te tutoie ?
Démétrius :
Non pas du tout ! Enfin Oui…NON ! Enfin… Oui pour le verre et non
pour le tutoiement !
Hermia : Ok on dit quelle
heure ?
Narrateur : Hermia tenant toujours
Démétrius par une main sort son agenda…
Démétrius : On peut pas voir ça
après ! Quand vous m’aurez sorti de là…
Hermia : Attends faut que je
regarde, j’ai pas beaucoup d’actu mais il suffirait que ça tombe sur…
Démétrius : 13H 13 !
Hermia : Ben t’es précis dit
donc ! Oui, pourquoi pas, si c’est bon pour toi c’est bon pour moi !
Narrateur : Dans un ultime effort, Hermia
tire de toutes ses forces et extirpe Démétrius qui se retrouve de l’autre côté
de la faille…
Mais
même loin de l’autre, il ne faisait plus qu’un…
Démétrius : J’espère qu’on se reverra…
Hermia : A 13H13 ! 13 13 13
13….13…13….13..
Narrateur : Mais les bruits dispersent
les voix et un écran noir se dresse devant leurs yeux. Il est 13 H … Paris réveille
en sueur, encore secoué par ce cauchemar horrible, elle se surprend à pleurer.
Des milliers de larmes frappent le sol, et chaque pavé résonne en des notes de
musiques d’une insoupçonnables puretés, et il se transforme en instruments
majestueux et créent des notes dont les accords parfaits composent symphonies,
balades, chaque quartier y va de son morceau, concerto, Allegro, en mi- majeur,
en do mineur, spiritual…
Au
même instant, attiré par cette douce musique Démétrius se lève sans même jeter
un regard sur l’horloge de son réveil, c’est sans chausson et pieds nus qu’il
se dirige vers la fenêtre. Au même instant à l’autre bout de PARIS Hermia,
saute de son lit, et tire les larges rideaux de sa seule fenêtre, pour contempler
ce merveilleux spectacle. A qui sait l’entendre, ces morceaux enivrent. Un arc en ciel se dessine au dessus
de Montmartre, un halo de couleur descend sur la rue Lepic, quand l’autre arc
se courbe jusqu’à colorer le boulevard Vaugirard…
Paris : Je l’ai échappée
belle ! Quelle facétie !!! Impétueuse PARIS ! Allez réveille toi
ville de lumière ! A quoi bon être vaste, pourquoi se vouloir toujours
plus grande ! Plus haute ! Plus fière ! N’est t’on pas bien
comme on naît ! Et ne suis je pas après tout, la plus belle ville du
monde, la plus visité ! Plus belle avenue, ma tour, le panthéon, hein ça
parle ça ! Mes invalides… ! Bah ouais !!! Faut savoir s’en
contenter !
Narrateur : Un peu orgueilleuse peu
être…
Paris : Ah bah quand on est moi,
normal qu’on se la pète un peu, regarde les parisiens si ils sont pas
fiers !
Narrateur : Allez on se calme… Jalouse
aussi…
Paris : Faut pas me quitter moi,
il fait bon vivre à Paris, Non ?
Narrateur : Pas que…
Paris : Pas que, c’est vrai, y’a
un ailleurs faut reconnaître, faudrait que je dépasse le périph de temps en
temps… Enfin ça m’apprendra !
Narrateur : Ca t’apprendra !
Paris : Ca m’apprendra ! Je
vais bien mettre dix mois à m’en remettre ! Et l’année prochaine, promis,
pas de travaux, pas de démago, et du soleil au Trocadéro !!!
Et
regardez les tous les deux, Hermia, Démétrius ! Ils sont pas beaux… Allez
un dernier songe pour la route…
Narrateur : Fais gaffe quand
même !
Paris : T’inquiète ! Un tout
petit songe…
Narrateur : Paris se mit alors à
rétrécir, à se compresser, à t’elle point qu’elle ne devient pas plus grande
qu’un village, avec au centre le BALTO illuminé par un magnifique Arc-en-ciel
composé d’ un seul pied, quand même on peut bien le dire y’a qu’à Paris qu’on
voit ça ! Démétrius descend 4 à 4
les 3 étages et traverse la rue Lepic, qui croise maintenant le Boulevard
Vaugirard… Hermia s’assoit à la terrasse, Démétrius, le sourire aux lèvres se
précipite, l’embrasse…
Il est 13 H13 et Paris s’éveille…
Il est 13 H13 et Paris s’éveille…
Chanson :
« Paris s’éveille »
FIN